J'en mets un vieux, pour commencer. Parce que j'fais ma timide. Tant pis.
Et puis, mon truc, c'est la pluie. Impressionée je suis par vous, mais je plonge quand même. Et tête la première.
Mes talons claquaient sur les pavés mouillés. Seule tête découverte entre les parapluies multicolores. Le peu de gaieté dans une journée pluvieuse.
L’orage roulait au loin. Les gens se pressaient de rentrer avant que les pleurs du ciel ne deviennent diluviens.
C’est bête. Il vaut mieux rester dessous.
La pluie, ça lave. De tout. Peine, joie, chagrins, bonheurs, idées noires, chansons récurrentes. Tu repars de zéro. Parce qu’elle te trempe jusqu’aux os. Jusqu’à l’âme.
Mes talons claquaient toujours. Mais ils résonnaient dans le silence qui avait laissé place à la foule.
Personne ne vient jamais sur les bords pavés du fleuve quand il pleut. Personne n’est assez fou. Ou assez poétique.
Je ne m’arrêtai que là. Debout à travers les gouttes. Dédaignant le banc à côté de moi. La vague à l’âme n’aime pas ça.
Je levai le visage vers le ciel. Mon maquillage allait couler. Il deviendrait les sillons noirs de ma pensée trop sombre. Tout partira. Pour mieux recommencer.
Un flash traversa mes paupières closes. L’orage se rapprochait. Je comptais. Un… Deux… Trois… Quatre… Cin… Détonation. Sourire. Le sol a tremblé.
J’entendis des pas derrière moi. Ils s’arrêtèrent à côté. J’étais plus seule. Je n’ouvris pas les yeux pour autant.
La personne qui se tenait près de moi ne parla pas. Moi non plus. C’était un silence dédié à la pluie. Qui fut brisé après le claquement du prochain éclair.
- Tu ruines ton maquillage.
J’souris. Homme. Jeune. Avec un fort accent. Amusant. J’ouvris les yeux.
Il était grand. Et beau. Pas trop couvert, comme moi. Une coiffure élaborée, pas sûre de résistée à la tristesse des nuages.
- Tu ruines ta coiffure.
Il sourit.
- Je m’en fous.
- Moi aussi.
Son regard était profond. Plus que les gens ordinaires. Et ce n’était pas le liner noir qui commençait à couler qui y était pour grand-chose.
J’offris de nouveau mon visage au ciel. Les larmes glacées qui tombaient sur mon visage claquaient sur la veste en cuir de mon voisin. Silencieux.
On écoutait juste le tonnerre qui s’rapprochait toujours. Lentement.
- Tu t’assoies pas ?
- Non.
- Elle te raconte quoi ?
J’ouvris de nouveau les yeux et les tournai vers lui.
- La pluie, ajouta-t-il.
- Elle me dit que la tristesse du monde est pire que la mienne. Elle me dit qu’elle connaît la souffrance et qu’elle sait la laver. Elle dit qu’il faut que je fasse plus attention à l’âme des gens qui m’entourent. Et elle dit aussi que je devrais mieux regarder toutes les étoiles qui s’cachent au fond de leurs yeux.
- Elle a pas tort.
- Et toi, elle te dit quoi ?
Il sourit. Ange aux ailes trempées, trop lourdes pour être déployées et tellement belles qu’elles sont prêtes à se briser.
- Elle me raconte la vie. Les rires, les pleurs, les sourires et l’amour. La vérité. Elle ne me raconte pas de mensonges. Elle a pas de faux-semblants. Elle me raconte des histoires pleines d’espoir. Elle me dit qu’il faut me relever. Toujours. Même si j’loupe une marche, elle m’encourage à m’accrocher à la suivante. Elle me raconte la beauté de la mer où elle aime se perdre et des déserts où elle ne va pas assez. Elle me chante l’univers entier et les étoiles qu’elle pleure. La pluie, elle me dit qu’elle est magique. Et elle me jure une amitié. Elle est sincère. Tu la crois ?
- Oui.
La pluie tomba plus fort. Un vrai déluge. Où deux sourires se trouvaient. La pluie, elle est magique. Tout le monde le sait pas. Moi, si.
- T’es belle comme la pluie.
Image de noir et de blanc.
J’étais plus seule.