Encore vieux, mais bon, j'y tiens. On reprend pas les bases pour recommencer... ?
Bonjour.
Laissez, c’est une formule. Le mien, de jour, il est pas bon. Même si pour beaucoup, il a rien de spécial.
Moi, j’ai plus d’nom. J’ai plus rien. Et j’m’en fous.
J’viens d’ouvrir les yeux sur ce mauvais jour. Un jour comme les autres.
J’viens d’ouvrir les yeux et pourtant, j’vois toujours que du noir. Vous m’direz d’allumer la lumière. Cherchez pas, ça changera rien. Les lumières artificielles sont pas encore capables de rallumer les lumières de l’âme.
L’obscurité, ça fait des mois que j’la côtoit. C’est dev’nue une amie. La meilleure.
Petite fille sage est devenue vide.
Et non, je n’ai pas de problèmes. Le lycée, j’ai aucun problème. Avec les gens, non plus. Après tout, j’ai toujours l’sourire. Quelqu’un qui rit, c’est qu’il a pas de problèmes.
Tout l’monde vous l’dira : ma vie, tout l’monde l’envie. On pourrait m’prendre pour modèle, tellement elle est magnifique. J’ai toujours réussi à faire c’que j’voulais.
Alors, y a pas d’raisons que cette fois-ci, j’y arrive pas.
J’me r’dresse dans l’obscurité.
La maison, elle est encore endormie. Toujours la première levée. Toujours la première partie.
Le carrelage froid me fait que dalle. Il pleut dehors. Ca non plus, ça m’fait plus rien. Alors qu’avant, j’adorais la pluie.
Les yeux sont le reflet de l’âme. Les miens se r’trouvent vides, du coup. Et c’matin, j’ai pas envie d’les remplir. Parce que j’l’ai trop fait. J’me suis trop forcée. Et j’peux plus. T’façons, personne me verra aujourd’hui. Pas de personnage à jouer. Pas de visage à s’composer. Pas d’sourire à afficher.
J’prends mon manteau. Long, noir, sans capuche. Il couvre mon corps qui maigrit sans qu’personne le voit et offre mon visage aux gouttes glacées. Les nuages aussi sont noirs. J’ai plus aucun plaisir à les voir crever. Peut-être que eux, ils auront du plaisir à m’regarder, moi.
J’habite à deux kilomètres de la mer.
Quand j’étais p’tite, j’y allais tous les jours. J’faisais des pâtés, comme tous les enfants.
Puis quand j’ai voulu m’démarquer, la mer, c’est dev’nue une étendue d’rêves. J’m’asseyais d’vant et tout allait mieux. Il y a des mois que j’vais m’asseoir devant et que ça m’fait plus rien.
J’suis vide.
J’y vais à pieds. La marche, ça r’mets les idées en place. Les miennes, d’idées, elles valent pas la peine d’être ordonnées. Y en a qu’une qui a d’la valeur. Et c’est pour la réaliser que j’vais voir la mer.
Il fait plus nuit, mais pas encore jour. Les étoiles ont disparu, mais l’soleil est pas encore là.
Dans ma poche, j’tiens ma délivrance serrée au creux d’ma main.
La liberté. Enfin.
Je vois la plage. Je gravis les marches qui y mènent, comme on monte à l’échafaud. Puis j’redescend vers le sable. Descente vers les abysses.
‘Y a personne sur la plage. Normal. J’avais prévu l’coup. J’veux qu’personne vienne me sauver. Les vagues déferlent sur les rochers et s’y brisent. Jets d’écume blanche, c’est beau. Mais j’suis plus capable d’apprécier la beauté.
J’me laisse tomber n’importe où. J’ramène mes g’noux contre moi. Le vent, la pluie et les embruns fouettent mon visage et dansent dans mes cheveux.
J’retire la main d’ma poche. La lame est tiède, à force d’être tout contre ma peau.
La décision, elle m’est v’nue hier soir. J’suis sûre que mon père s’est même pas rendu compte qu’il y avait une lame de cutter en moins sur son plan d’travail.
J’lève les yeux vers la mer et lui dis un merci silencieux. Elle m’a bien aidée, après tout. C’est pour ça que j’suis v’nue là.
J’continue d’la r’garder alors que j’taillade mon poignet. Ca fait mal. J’m’en fous.
J’lâche ma lame et r’garde mon sang. J’suis folle de faire ça.
J’m’allonge dans l’sable et ferme les yeux, les bras en croix. Mon sang souille le sable.
L’agonie sera longue. J’veux apprécier ma prise de liberté.
La pluie s’arrête peu à peu. Les nuages découvrent un soleil, qui réchauffe mon visage.
C’est ça la mort ? C’est pas si terrible. J’entends même quelqu’un qui m’appelle. J’veux aller l’rejoindre, mais j’peux pas m’lever.
Du sable vole à côté d’moi, alors qu’un mec dans mes âges s’agenouille dans une glissade.
Une casquette est vissée sur sa tête. Des clous ornent le coin d’sa bouche.
Il me parle. J’entends pas. J’ai envie d’lui dire qu’il est beau. D’lui d’mander si c’est un ange.
Mais j’peux pas parler non plus.
Mes yeux s’ferment et j’sens des bras m’soul’ver.
J’me sens bien.