=] C'est romantique et un peu mystérieux.
J'espère que ça vous plaira.
Pardonne-moi
La nuit est tombée, elle le sent. Elle attend depuis un moment, dans cette salle aux allures de salons, digne des vieux films cultes. L’ambiance est feutrée, les lumières sont tamisées et il rode dans la pièce comme un air de mélancolie. Un trait de lumière blanche baigne le corps d’un piano trois quarts inlassablement muet. Elle est assise à une table, seule, sa main gantée écarlate reposant sur la nappe noire dans une courbe élégante. Sa bouche vermeille s’est figée dans une moue étrange, son visage est marqué tendresse mais ses yeux demeurent vides. Ses jambes en jean sont croisées fermement comme pour renfermer le secret inavouable d’un corps offert sans retenue.
Son verre se vide lentement, au rythme de ses instants envolés incapables de durer plus longtemps. Le temps s’effile, le temps s’enfuit sans qu’elle ne songe à le rattraper. Tout en elle est en suspens, incertain, fragile et solide comme un roc, paradoxal et d’une beauté sans égale. L’heure tourne et ses prunelles émeraude ne se remplissent pas, égarées dans un ailleurs intouchable, inviolable. Un ailleurs fait de souvenirs, un ailleurs qui n’existe plus depuis déjà trop longtemps.
Les tables se sont remplies, un murmure est né dans les entrailles obscures de la salle. On n’attend plus que la musique, on n’attend plus que l’ivresse de quelques notes jouées, chantées, expulsées de leurs tanières et libérées dans la jungle d’un monde vorace prêt à les dévorer jusqu’à la dernière. On n’attend plus que ces vibrations qui comblent l’air et les cœurs comme on colmate les fuites de vies inachevées, ces histoires d’un autre temps, d’un autre monde, d’autres âmes.
Lentement, la silhouette d’un jeune homme se dessine, de plus en plus précisément à mesure qu’il s’avance vers le monstre noir et ses touches entre lesquelles toutes les couleurs du monde se sont cachées, apeurées de tant de puissance promise, de tant d’émotion refoulée. Il semble tout juste sorti de l’adolescence, avec ses traits fins et ses yeux sombres, ses cheveux longs ébène et lune d’argent qui tombent sur ses épaules, las et mélancoliques. L’éclat d’un piercing à l’arcade brille le temps d’une demi seconde, alors qu’il s’installe sur le tabouret de velours, noir lui aussi.
En elle, il semblerait que quelque chose a explosé. C’est comme un mélodrame intérieur, un cataclysme prisonnier de sa chair. Ses iris se sont braqués sur lui comme des coups lacèreraient sa peau, on ne saurait si elle l’aime ou si elle le hait, peut-être que c’est bien semblable, au bout du compte. Sa main s’accroche au pied du verre comme en dernier recours, et avant qu’il ne se brise dans sa paume, le début d’une mélodie retentit dans la pièce.
Puis, trop vite, sa voix se superpose au chant de l’instrument lourd. La chanson s’envole, prière désespérée qui glace le sang des auditeurs, qui se fraie un chemin dans leurs poitrines, sournoisement, comme un poison mortel et pourtant, celui qui souffre le plus, à en crever dix fois, c’est ce garçon dont les doigts caressent les touches et dont les mots s’écoulent.
On voudrait se détourner de cette douleur brute dans un bref haussement d’épaule, oublier le visage de ce jeune homme désillusionné, on voudrait être autre part, là où les relents de ces vieux tourments nous laisseraient en paix. On voudrait laisser ces amours perdues dans l’abîme de nos mémoires poussiéreuses et respirer à nouveau sans sentir sur nous l’empreinte indélébile de ces couples qui redeviennent passants après la tempête.
Ne me quitte pas
Il faut oublier
Tout peut s’oublier
Qui s’enfuit déjà
Oublier le temps
Des malentendus
Et le temps perdu
A savoir comment
Oublier ces heures
Qui tuaient parfois
A coups de pourquoi
Le coeur du bonheurMais surtout,
Ne me quitte pas.Je t’en prie,
Ne me quitte pas.Je t’en prie,
Ne me quitte pas.Non,
Ne me quitte pas.Je t’aime.
Son cou gracieux s’est tendu, sa mâchoire s’est resserrée. Elle sait bien qu’elle ne devrait pas écouter cette supplication, elle connaît les tortures qu’aiment à infliger tous les doutes, tous les regards en arrière.
Mais comment ne pas écouter sa voix, à lui, sa voix divine, sa voix qui te ferait partir de l’autre côté de la terre, de l’autre côté de l’univers, vers ces planètes vierges de toute présence humaine, sa voix qui te ferait sentir ton cœur battre au fond de ta poitrine avec plus de sens que jamais.
Comment ne pas l’écouter, lui, qui offre ces mots à cette femme, qui veut faire d’un adieu un bonjour, qui donne ses maux comme un bouquet de roses rouges, avec passion.
Moi je t’offrirai
Des perles de pluie
Venues de pays
Où il ne pleut pas
Je creuserai la terre
Jusqu’après ma mort
Pour couvrir ton corps
D’or et de lumière
Je ferai un domaine
Où l’amour sera roi
Où l’amour sera loi
Où tu seras reineJe t’en prie souviens-toi et
Ne me quitte pas.Non,
Ne me quitte pas.Nous deux ça ne peut pas mourir.
Ne me quitte pas,Parce que je t’aime.
Ne me quitte pas.Aussi vrai que je suis en vie.
Ses yeux verts ne sont plus vides, ils brillent à présent de l’éclat de joies qu’on croyait perdues à tout jamais. Bien sûr c’est du passé tout ça. Mais qu’est-ce que c’est beau, qu’est-ce que ça semble éternel.
« Je n’ai jamais autant aimé, tu sais.
- Menteur.
- Tu devrais le savoir, mes mots ne sont jamais des mensonges.
- Même quand tu dis que tu vas écrire tes paroles et qu’on te retrouve en train de dormir devant la télé ?
- Hey, toi. Tu sais que c’est vrai. Aussi vrai que je suis en vie, je t’aime. »
Quelques baisers volés pour demander la permission. Viens, Bill. Viens, je n’attends que toi. Quand toi et moi deviennent nous, c’est là que je te crois le plus. Je t’inventerai
Des mots insensés
Que tu comprendras
Je te parlerai
De ces amants-là
Qui ont vu deux fois
Leur coeur s’embraser
Je te raconterai
L’histoire de ce roi
Mort de n’avoir pas
Pu te rencontrer« Parle-moi, s’il te plaît.
- Je m’appelle Bill. Malheureusement je ne parle pas très bien français. J’essaierai de m’améliorer… *
- Je ne voulais pas de ces mots préfabriqués. Je voulais juste quelques pensées, réelles.
- Je pense que tu es la plus belle fille que j’ai jamais vue.
- Menteur.
- Je ne mens jamais. » Ne me quitte pas.Ces mots n’ont jamais été illusions.
Ne me quitte pas.Les blessures que je t’ai infligées, je ne les souhaitais pas.
Ne me quitte pas.Crois-moi et
Ne me quitte pas.« Votre rencontre était étrange, non ? Bill, raconte-nous.
- C’est simple, elle m’a demandé un bout de mon cœur et après m’être trompé je le lui ai offert sans hésiter. »Il y en a eu, des espoirs, des moments, des soupirs, des caresses, des interludes, des musiques nées de leurs deux êtres, des tours de cadran rythmés par leurs cœurs enlacés. Seulement parfois on s’aime pour se déchirer. Seulement parfois on ne sait plus retenir ses douleurs, ses souvenirs d’avant l’autre, ses craintes d’un avenir figé. Seulement parfois ce qu’on croyait vérité s’efface pour laisser place à l’amertume.
« Depuis quand est-ce que je te regarde sans te voir ? »Seulement parfois l’infini illusoire redevient éphémère.
« Depuis quand est-ce que je ne ressens plus rien pour toi ? »Seulement parfois les mots se font armes blanches.
« Depuis quand est-ce que j’ai envie de te voir disparaître ? »
Seulement parfois l’habitude se change en démon du bonheur.
On a vu souvent
Rejaillir le feu
De l’ancien volcan
Qu’on croyait trop vieux
Il est paraît-il
Des terres brûlées
Donnant plus de blé
Qu’un meilleur avril
Et quand vient le soir
Pour qu’un ciel flamboie
Le rouge et le noir
Ne s’épousent-ils pas
Ne me quitte pas.Mais j’ai rouvert les yeux, tu sais.
Ne me quitte pasEt tu étais la seule chose qui en valait la peine.
Ne me quitte pas.Aussi vrai que je vis.
Ne me quitte pas.Je t’ai aimée.
Ne me quitte pas,Parce que je t’aimerai encore.
Son visage est entièrement tourné vers lui, à présent, alors que des larmes ont coulé sur leurs joues, - ne le dites à personne, ils sont bien trop fiers pour l’avouer -, elle se demande s’ils ont le droit de revenir en arrière, si elle a le droit de retrouver celui qui manque à sa vie depuis qu’elle a claqué la porte, si les mots sont vrais cette fois, s’ils ne s’effaceront plus.
Je ne vais plus pleurer
Je ne vais plus parler
Je me cacherai là
A te regarder
Danser et sourire
Et t’écouter
Chanter et puis rire
Laisse-moi devenir
L’ombre de ta main
L’ombre de ton chienPardonne-moi.
Ne me quitte pas.Je t’en prie,
Ne me quitte pas.Reviens-moi.
Ne me quitte pas.Reprends-moi.
Ne me quitte pas, Parce que je n’ai plus de vie sans toi.
Le chanteur malheureux se relève et part du mauvais côté, saute de la scène et vient devant elle, prend sa main rouge dans les siennes légèrement tremblantes. Les autres spectateurs sont là, médusés, happés par la scène.
Ils savent bien, eux aussi, que l’amour absolu n’est qu’une chimère et que seuls les imbéciles peuvent chercher à l’atteindre. Ils savent bien qu’on ne peut recoller les morceaux d’une histoire brisée aussi aisément, même avec la voix la plus ensorcelante de la Terre et des mots aussi forts que l’étaient ceux de Brel.
Mais le piège de l’espérance doit bien être la plus fourbe de toutes les malformations humaines.
« Ne me quitte pas.*
- Ne me quitte pas non plus, alors.
- Non.
- Bill, parle-moi, s’il te plaît.
- On va s’enchaîner l’un à l’autre encore une fois et on verra bien, alors, si j’avais tort. »
Ça fait mal de croire, mais dans le fond, on le sait bien…
C’est encore plus douloureux de ne plus aimer.
Les lumières s’éteignent, personne n’ose souiller cet instant. Quand elles se rallument, les deux amants ne sont plus là. Disparus, envolés. Effacés.
Faisons comme si nous n’avions rien vu.
Parce que Bill Kaulitz est mort depuis cinq ans déjà, après avoir sauté une quinzaine d’étages à la suite de sa dernière conquête qui s’était ouvert les veines.
Parce que rien n’est réel, ici-bas.
« Aussi vrai que tu vis, c’est le plus beau de tes mensonges, Bill. Et je choisis d’y croire. »Fin.Nao.
* en français.