Parce que celui-là me tient à coeur. Particulièrement.
Allez savoir pourquoi...
~ Rien ~
Je m’appelle Rien.
Je n’ai pas de sexe, je n’ai pas d’âge, je n’ai pas d’histoire. Ce que je vous raconte ici, ce n’est qu’une ombre de son histoire à elle, une vague poussière trop petite pour faire tâche, un petit grain insignifiant dans l’infini de son paysage luxuriant et captivant. Personne ne me voit, personne ne m’entend.
Elle a dix-huit ans, l’âge où tout est possible, où tout ne demande qu’à éclairer son visage et ses souvenirs. Tout est mon ennemi, je ne pourrais jamais le vaincre, il a toutes les armes, toutes les batailles, tous les courages, toutes les beautés, toutes les intelligences ; je n’ai rien. Tout est un absolu, je suis une erreur.
Tout l’attend toujours et elle finit sans faute par le retrouver à chaque coin de rue, à chaque nouvelle ligne de vie. Tout la fait vivre, tout l’aide à virevolter dans sa jolie robe blanche. Je n’en veux pas à tout, non. Que pourrait faire un rien, de toutes façons ?
Elle est belle, c’est une évidence. Quand elle te sourit et que tu oublies de fermer les yeux, tu te sens pris par l’envie de la capturer à jamais, qu’elle ne te sourie plus qu’à toi, à toi seul. Elle te rend possessif et jaloux, elle qui n’appartient à personne.
Il y a marqué ivresse sur ses courbes, il y a marqué indécence sur sa bouche, elle qui est une icône, une vierge Marie intouchable. Tu deviens fou quand tu la désires, elle qui ne se donnera pas à toi.
Elle a le regard dur, un regard froid et noir, un regard sauvage capable de te terrasser si tu n’y prends pas garde. Elle a le rire facile, le rire contagieux, le rire qui te ferait rire un pays tout entier. Elle est magnifique, elle est magicienne, sorcière, elle a tous les pouvoirs.
Je m’appelle Rien, je n’ai pas d’envie, pas de désir, je n’ai pas d’espoir.
Sinon, je serais mort depuis longtemps.
*
J’avais quinze ans, elle seize.
Je me cachais derrière mes cheveux blonds trop pâles trop ternes quand elle faisait tournoyer les siens comme une mer noire soyeuse, une mer noir ténébreuse, fascinante. Ainsi, elle ne le voyait jamais, quand moi je ne voyais qu’elle.
On m’a dit que j’étais amoureux.
C’est un joli mot, amoureux. C’est une jolie illusion, un joli mal, un merveilleux n’importe quoi.
On m’a dit que j’étais amoureux et je l’étais sûrement, je fermais les paupières et j’y voyais son visage, je m’endormais et je rêvais d’elle, je l’effleurais et ma peau savait s’en souvenir des jours durant.
On m’a dit que j’étais amoureux et ça m’a rendu malade.
Parce que l’amour est une maladie incurable, c’est bien connu.
Mais moi je ne voulais pas mourir, alors j’ai arrêté de l’aimer, j’ai arrêté de souffrir.
La vérité c’est que quand elle s’est retournée et qu’elle m’a regardé avec ses yeux noirs, j’en ai oublié mon prénom. Alors je suis devenu Rien.
Je m’appelle Rien, je n’ai pas de cœur, je n’ai pas d’amour, je n’ai pas de haine. Je m’appelle Rien, c’est comme ça.
Parce que pour elle, je n’existe pas.
Nao