Pardon....
Toujours sur le quai des désoeuvrés, à compter les trains qui passent mais ne s'arrêtent jamais, les voir faire l'amour aux rails bruyamment pour couvrir le hululement de nos plaintes aveugles. Pour seule compagnie nos langoureuses lâchetés et leur étreinte salée, comme nos vieux doudou râpés et jetés sur le coin d'la route dans un élan d'autonomie qui reviendraient nous prendre la main pour nous broyer les doigts.
Et toujours les trains qui passent...
Sourires fanés, sourires cramés en décomposition dans cette atmosphère qui stagne depuis nos millénaires affranchis. Danse lascive des ombres oubliées de nos ex-vies, et nos gestes toujours esquissés jamais réalisés, et pourtant, pour tant d'horreur refoulées des temps jadis, triste retour de bâton.
Et toujours les trains qui passent...
C'est ici, c'est ici qu'échouent tous les silences du mondes, tous ceux trop vite remplacés par la douceur du bruit, les mort-nés, les avortés de nos conversation, ceux qu'on avait si bien su éviter avant, c'est ici, dans les bas-fonds de nos âmes qu'ils reviennent nous hanter, tuant dans l'oeuf la plus infime de nos syllabes, coupant nos mots au couteau, comme on coupait nos bras avec ces lames de rasoir, ici, ici plus d'autre alternative que l'attente implacable que l'on craignait tant...
Et toujours les trains qui passent...
Le ciel s'écrase sans fin, il en est ainsi depuis toujours paraît-il, depuis toujours aussi silencieusement, comme le calme avant la tempête qui n'arrive jamais mais que l'on continu d'appréhender, parce que c'est dans notre cheminement immobile que tout se joue, la paire de six salvatrice est un mythe, un vrai mytho puisque l'on ne nous a pas donné de dés, peu importe, lancer le vide tant qu'il en est encore temps et qu'il en sorte quelque chose comme les lapins sortent des chapeaux des magiciens. Jeter en l'air le vide de nos paumes et espérer quelques broutilles faute de pouvoir faire mieux.
Et toujours les trains qui passent...
Les passagers de l'infini éphémère finiront peut-être par nous crever les yeux de leurs sourires ingrats, doux rêve que d'être aveugle au pays des horreurs quand les lamentations familières de nos cauchemars reviennent nous tourner la tête, l'enfer n'est pas si loin, s'il n'est pas déjà là...
Et toujours les trains qui passent...
Et sur le quai d'en face plus de lumière, plus de tout, plus sans nous, comme un gâteau au chocolat dans une vitrine, totalement inaccessible. Pour cause les rails et leurs envies lugubres, les trains continus et la machine infernale de leurs roues, d'autre ont essayé et leurs carcasses encore agonisantes qui parsèment les voies de pourritures ne s'effaceront plus.
Les relents âcres de leurs espoirs laminés nous tourne la tête, non, de l'autre côté c'est inaccessible, inacceptable, inopportun, impossible mais on en rêve tous en secret, évidement.
Et toujours les trains qui passent...
Mais en face il y a surtout Lui, Lui et encore Lui. Lui et son regard qui se pose sur nous sans jamais vraiment nous atteindre, comme à travers un brouillard un peu trop dense, Lui, Lui et encore Lui, qui semble vouloir être ailleurs alors qu'il est là où on souhaiterais tous être, Lui qui souris à tout va, à tout ça mais sans conviction, Lui, Lui et encore Lui qui a tout quand on à rien, Lui, Lui et encore Lui qui déborde quand on manque, Lui, Lui et encore Lui qui attire mon regard depuis quelques éternités puisque je lui suis aveugle, Lui, Lui et encore Lui, parce qu'il semble tout de même intolérablement heureux face à notre laideur accoutumée.
Et toujours les trains qui passent...
Il sont pourtant des centaines sur le quai d'en face, mais aucun ne nous fait totalement face comme il ose le faire, les autres sont trop occupé à vivre en nous ignorant, comme un peu de boue sur la chaussure quand le soleil est revenu, ça partira bien un jour, mais justement nous on part pas, eux si, ils sont si peu à rester, si peu, quand nous on s'entasse encore et encore, jusqu'à s'étouffer de nos habitudes souillées. C'est pour ça qu'intimement j'ai décrété qu'il y avait Lui et les autres, et les autres ont bien peu d'importance après réflexion.
Et toujours les trains qui passent...
Et moi, moi il m'arrive d'essayer de respirer en même temps que Lui comme un chuchotement dans une chambre vide, j'ai même parfois que c'est sa respiration que j'entend et non pas le souffle rauque d'un de ces anciens démons qui nous écartèlent sans que l'on se défende. J'essaie parfois de sourire comme lui, juste quand les trains passent et que tout le monde se passionne pour le bonheur de ses passagers, j'espère parfois briller un peu comme Lui mais je me ravise souvent, briller c'est crever mille fois plus que d'habitudes, c'est tendre la joue et se faire bouffer les yeux.
Et toujours les trains qui passent...
Il m'arrive d'imaginer ce que l'on voit de l'autre côté, ce que l'on vit de l'autre côté, si on voit la douleur suinter de nos corps, s'ils sentent quelque fois sur eux l'ombre de nos regard, si on est comme un vent froid d'hiver au milieu de l'été, si eux aussi il respirent cet air vicié qui nous enveloppe, si on est un nuage noir très lointain au milieu de leur ciel bleu, si le vent à le même goût de moisi de l'autre côté, si leurs rire ne sont que des masques, si leurs sourires sont la manifestation directe de leur tristesse selon leurs normes, si ils sont là bas depuis longtemps et bien d'autre encore.
Et toujours les trains qui passent...
Je crois qu'on aurait tous aimé être de l'autre côté, y avoir sa place, pouvoir profiter des rayons du soleil et réapprendre le mot chaleur avec des travaux pratiques, le tout servi avec son coulis de gaieté, entendre à nouveau le bruissement de nos vies qui se frottent. Juste avoir le courage de s'accrocher à un train, quitte à s'y broyer les mains, y perdre sa jambe, y perdre sa vie? Ou même juste essayer de traverser...
Traverser?
Laisser tout derrière, mes larmes et leurs odeur salée, les échos de nos regrets, les peines trop lourde et le passé que l'on ressasse sans fin, ne garder que l'espoir qu'on ne nous a pas encore brûler et s'y accrocher désespérément , courir tout en sachant qu'on s'apprête à faire partie des cadavres qui jonchent déjà les rails, n'être qu'un corps déchiqueté de plus, s'ajouter petit à petit à l'horreur ambiante, aller à Lui plutôt que d'observer ses mains battre la mesure d'une musique que je me tue à imaginer, et au pire faire partie du tempo, un pas j'espère, un pas je tombe, un pas le train, un pas je crève, et ma vie en un huit temps immémorable.
Et toujours les trains qui passent....
Mais le courage nous manque à tous ici, il n'y a que le dépit qui rôde pour te laisser m'imaginer cent fois ses yeux dans les miens, et mon reflet au fond de ses prunelle, je sais bien qu'il finira par me percer mon rêve comme on éclate un ballon de baudruche, mais le bruit sera celui de ma nuque qui craquera sous le poids des remords. Mais tout de même ses prunelles, fantasme, à se frapper la tête contre les mur, à briser à coup de poing une de ces vitres sur lesquelles n'apparaissent jamais les formes étrangères de nos corps.
Et toujours les trains qui passent...
Mais ce n'est toujours qu'un but qui n'existera pas vraiment mais qui se traînera pourtant sur le quai au rythme de nos pas silencieux, même si l'on ne bouge plus depuis longtemps.
Et toujours les trains qui passent...
Alors je suis là comme j'ai toujours été là et comme je serais toujours sûrement là, parce qu'après tout il n'y a pas pas d'autre alternative et qu'au fond c'est si facile de rester lâche, de fermer sa gueule et d'attendre comme tout le monde, de faire l'ancienne sur le quai, celle qui connaît par coeur ses règles alors qu'elle n'en a même pas compris le sens, murmurer que c'était couru d'avance quand une pauvre âme s'élance sur les quais et se fait happée sous les yeux de tous, un pas en arrière pour les éclaboussures, et pas un mots sur le fait qu'on y a quand même un peu cru à son évasion ratée à l'autre, mais chut.
Et toujours les trains qui passent...
Ballet incessant de ses yeux à Lui, et moi je les suit imperceptiblement, voyage muet comme s'accrocher derrière une voiture en rollers, sentir la vitesse, quand la moindre erreur est fatale, sentir ses entrailles baignées de peur, mais s'accrocher quand même, fermer les yeux sur la destination pour mieux jouer la surprise une fois dans le mur, suivre ses yeux qui qu'il advienne, juste pour cette évasion interne qui nous prend trop rarement.
Et toujours les trains qui passent....
Mais il y toujours une chute aux histoires, un événement pour briser la routine monotone qu'on commençait enfin à accepter, et cet instant a finis par pointer le bout de son nez, bien étranger avec sa valise de sentiments foireux: Ses yeux, Ses yeux ont croisé les miens et s'y sont arrêtés, j'en aurais hurlé si seulement j'avais eu encore une voix, parce que j'en avais jamais pris autant dans la gueule d'un coup, parce que j'avais gardé mon rêve bien au chaud dans la partie "impossible" de mon cerveau et que j'avais même réussi à le cacher bien loin dans mes yeux quand j'avais passé les douanes de la mort, c'était un genre de drame virulent qui détruisais ce que je n'avais même pas osé formuler.
Et toujours les trains qui passent...
Comme un dernier coup de théâtre pour tout m'enlever, pour que je le voit m'ignorer et que j'écrase moi même l'espoir que j'avais cultivé, le voir m'ignorer comme il ignore tous les autres, comme une poussière, un crève la dalle, un rien, un rien du tout, à peine une tache sur un vêtement noir, c'est ma fin et ce ne sera sûrement pas la votre, puisque après tout c'est sûrement la seule chose qui m'appartient.
Et toujours les trains qui passent...
Mais il a souri, enfer et damnation, il m'a souri et les trains auraient bien pu louper leur orgasme, dérailler où même changer de sens que je n'en n'aurais pas crevé autant , et le ciel aurait enfin pu finir par nous écraser tous que je n'en aurais pas bouger, parce que Son sourire aurait pu être fade ou moche, mais c'était bien pire, il était magnifique. Et puis pour la première fois depuis un temps qu'on n'avait arrêté de compter puisque même les siècles ne tenait plus sur les doigts de nos mains réunies, pour la première fois quelque chose venait de changer et putain ce que ça faisait mal.
Et toujours les trains qui passent...
Je le sais, je le sais bien que c'est une fausse impression, une putain d'impression bien dégueulasse, une sale blague, un beau piège avec un joli ruban dessus pour t'étrangler, qui te laisse des marques indélébiles au point qu'on finisse par les chérir nos déviances, qu'on s'y attache, qu'on les laissent faire partie intégrante de nous, pour mieux sentir le temps nous les arracher, unes à unes comme on effeuille les fleurs.
Et toujours les trains qui passent...
Et alors peu importe un piège, la vie, la mort? Tout vaut mieux que cette attente traîtresse qui nous submerge de ses caresses lourdes jusqu'à nous engluer définitivement, jusqu'à nous brouiller toute notion du temps et nous enlever cette fin nette et précise à laquelle on aspire tous. Rien n'est pire que cette absence de tout ou du moins je refuse de croire qu'il y ai pire que cet espace temps merdique où les erreurs passées sont la seule compagnie supportable.
Et toujours les trains qui passent...
Mais ne me font plus peur.
Un pas, un pas qui ressemble vaguement à un saut dans le vide, à un décollage raté, mais déjà nos silences et nos douleurs se détachent de moi, parce qu'au fond ce sont eux les plus trouillards. J'ai toujours la peur au ventre qui s'active pour paralyser mon corps, m'étrangler de désespoir, me souffler l'abandon comme l'explosion grandiose de nos désirs impies, comme le souffle d'une déflagration atomique.
Et toujours les trains qui passent...
Je m'accroche à ses yeux, il est trop tard pour lâcher prise, rendez moi aveugle, c'est sans importance j'ai ses yeux gravés au corps comme le nom sur ma pierre tombale, démembrez moi, j'avancerais quand même, quitte à mourir de trouille, mais j'avance, titubante comme ivre de cette semi-vie à voir passer les trains sur ces rails, ces rails que je foule enfin de mes pieds, hésitants certes mais pourtant jamais aussi déterminés.
J'entend le train je le sens qui arrive tel un dieu sanguinaire pour punir l'Icare de plomb que je suis mais après tout...
Après tout?
Après tout mes pieds s'enlisent dans les rails qui ondulent lentement dans leur gargouillement atypique.
Après tout je suis sûrement déjà morte et je ne me souviens plus de ces échappées belles dont les gens parlaient avant, alors autant avancer, jusqu'au bout même si il n'y en a pas.
Parce qu'à crever autant crever de ma folie plutôt que de ma rédemption...
Et je sens le train me percuter, sans douleur. Mon pied encore suspendu dans sa course et le regard définitivement noyé dans le sien, à essayer d'y jeter mon âme comme une bouteille à la mer. Je sens mon corps s'écraser sous les roues hurlantes, tinter de sang le bord du quai sous les yeux des passagers habitués qui reprennent leur moue sceptique, mais ce qu'ils ne voient pas c'est qu'il n'y a qu'elle, l'enveloppe trop lourde que je me traînais avec ma culpabilité, ce qu'ils ne voient pas c'est que je suis toujours là mais que j'ai perdu les ombres qui nous étouffaient, ce qu'ils ne voient pas c'est que leur monde n'est qu'une illusion,, il ne comprennent pas que je suis belle et bien vivante de l'autre côté, que j'a passé la limite qu'ils cherchent tous, cette putain de limite qu'on avait sous les yeux tout ce temps, j'ai repris l'apparence qui m'avait tant manqué, je respire, pour de vrai, la tempête est bien loin à présent, le soleil brille et caresse ma peau.
Et toujours les trains qui passent mais qui ne me touchent plus...
Faut croire que c'était un peu comme nos examens de passage à l'école, faut croire qu'il fallait être prête à tout perdre pour une possibilité de réussite infime, il fallait tout perdre, se débarrasser de tout pour pouvoir avoir quelque chose de mieux, et faut aussi croire que j'ai réussi. Je m'affale sur le rebord du quai, simplement ça, encore un peu retournée par ce qui vient de se passer, mais j'y suis enfin, je suis enfin face à Lui. Lui qui d'ailleurs se met à me tourner le dos pour partir sans moi, et ma main, ma main qui lui attrape la cheville, et ma voix -ma voix?- qui l'appelle et en moi c'est comme neuf, lavé, plié, repassé, la vie peut recommencer.
Il est resté,
Je vous jure,
Il est resté,
Et je ne compte pas le lâcher.