"Comparez le poète à un objet ou à un animal."
Parce que je suis fière comme un paon d'avoir écrit ce texte, surtout dans un contexte lycéen.
J'espère que ça vous plaira.
Pour la première fois, ou une fois encore.
*
Tourne les mots
Le poète est semblable au ruban qui s’enroule et qui glisse sur le vent invisible, doux ou violent. Il est là et déjà ce n’est plus que sensations, la vue se brouille et on ne distingue plus que le tissu, le souffle fatigué de l’air tranché en mille morceaux résonne dans les oreilles, la respiration devient lourde, traînante.
Et tourne, tourne, tourne autour de la vie.
La main de l’enfant saisit la baguette et la serre jusqu’à en faire blanchir ses articulations. Ses petits ongles entaillent sa paume presque jusqu’au sang, pourtant la fillette aux yeux verts ne paraît pas s’en soucier. Sur la scène ce n’est plus que grâce et don de soi, et ce ruban qui ondule dans l’air comme une note dans le silence. Le poète tournoie autour des mots comme un cri sur une partition, une tâche fluorescente dans la nuit la plus sombre. La petite fille c’est la vie et le poète la connaît depuis longtemps déjà.
Et tourne, tourne, tourne pour cette abnégation.
Le poète s’envole et raconte aux hommes le comment et le pourquoi. Il n’est plus qu’un ruban arc-en-ciel auréolé de lumière dont ils suivent du regard les oscillations. Tous sont envoûtés par son mouvement insupportablement parfait qui semble ne jamais s’arrêter. A gauche, à droite, en haut, en bas, dans tous les sens, et c’est sans queue ni tête. Les longues tresses blondes de l’enfant, en harmonie avec le flux de cette si simple bande de tissu, semblent pourtant un peu trop lourdes. Tout cela est trop véloce, trop enivrant. Cela a l’air divin, on fixe sans pouvoir s’en détacher, on ne sait plus si c’est l’enfant ou le ruban qui fait cette magie. Si c’est le poète où le monde qui créé ce songe éclatant.
Et tourne, tourne, tourne, l’innocence finit par disparaître.
Car tous déjà désirent cet enchantement, l’homme et sa cupidité prennent le dessus sur l’émerveillement et sa tendresse. Le chérubin à la main souveraine leur appartenait dès l’instant même, cet instant maudit, où ils ont posé les yeux sur le duo du diable. Le ruban ondule toujours et l’agacement se fait ressentir. Le poète chante encore ses mots exaltants et on voudrait pouvoir faire de même ou au moins comprendre. Les hommes ne peuvent rien et, imbéciles qu’ils sont, s’attaquent à ce qu’ils ne peuvent atteindre. L’homme draine l’énergie et le ruban bat de plus belle.
Et tourne, tourne, tourne, l’abandon ne mène à rien.
Ce qui doit arriver arrive. Les hommes détruisent ce qui est si puissamment fragile. Le ruban frétille, jongle avec son propre corps, danse, s’étourdit à trop se démener pour tourner encore. La petite main tremble, l’enfant sue sous l’effort, ses pas s’emmêlent. Et de la même façon, la vie relâche son attention pendant un laps de temps trop long et pourtant si court, le poète abandonné percute un obstacle et s’en retrouve blessé. Cependant, il continue de rêver un peu trop fort.
Et tourne, tourne, tourne, même si ça fait mal.
Comme le ruban, le poète comprend et virevolte sur le cours du temps, grave pour l’éternité ses mots porteurs de sentiments dans le cœur des hommes. Il se laisse emporter par la main de la jolie gamine aux cheveux de Soleil et se débat comme un forcené avec elle contre vents et marées, contre les aléas du monde. Autour de lui, sa poigne de fer le serre dans un étau doré de chaînes aussi douces que la dernière caresse d’un bourreau.
Et tourne, tourne, tourne, il y aura bien quelque chose.
Le poète est toujours à la limite légère entre la réalité et le songe, il semble contrôler les mots mais c’est plus comme un ballet, un concerto. C’est de l’Art, aspiré sournoisement par les autres, toutes ces âmes qui, elles, se démènent uniquement pour vivre à travers cette procuration, qui, elles, profitent de l’émotion née d’un talent qui ne leur appartient pas. Le ruban coule et chacune de ses rondes est un poème que tous les hommes lui volent, violent, sans respect, riant ou pleurant de ses déboires avec petite fille la vie.
Et tourne, tourne, tourne, il n’y a que ça de vrai.
L’enfant tombe, le ruban vole une dernière fois et heurte le sol, déjà la beauté de leurs pas savoureux est oubliée, la foule rit, c’est plus simple de retourner sa veste, et regarde-les comme ils sont ridicules, et ce ruban, là-bas, ne ressemble plus à rien. Des mensonges amers qui poignardent l’être auparavant magnifique et maintenant réduit à un morceau de tissu qu’on écrase sans se retourner. L’espoir meurt bien trop tôt.
Et tourne, tourne, tourne, défends les idées d’une magnificence explosée.
Le poète se heurte au monde, il a de trop grands idéaux et ne rentre jamais dans la norme. Des fers invisibles le retiennent et tel le ruban il se traîne par terre, immanquablement piétiné mais garde une fierté farouche. Il sait qu’il est au dessus d’eux, même si tout ce qu’il ressent ce ne sont que les coups terribles qui le clouent au sol. Et quand le ruban devient si sale qu’il en perd toutes ses belles couleurs, le poète agonise au fond d’un puit.
Et tourne, tourne, tourne, rien n’est jamais perdu.
C’est la ténacité qui permet au rêveur fou qu’est ce grand maître des psaumes de finalement se relever, certes un peu cabossé, certes un peu tordu, et cependant plus fort même qu’au départ. La petite fille, il l’a perdue, mais il tournoie quand même, solitaire. C’est une énergie du désespoir, amère et ténébreuse. Le poète contre les maux par les siens faits de lettres.
Et tourne, tourne, tourne, fais taire les sceptiques.
Le poète fait la guerre et l’amour en son âme et sous sa plume, à l’image de ce ruban qui caresse l’air et fend les cœurs assez ouverts pour se laisser séduire. Il est de ceux qui savent et transmettent, de ceux qui cherchent et se perdent, de ceux qui trouvent et adorent jusqu’à en mourir. Même pour ces hommes qui le meurtrissent et cette vie qu’il a perdue en cours de route. De toutes façons, cette mascarade est sa seule drogue.
Et tourne, tourne, tourne…
Au fond, c’est une histoire d’amour.
Nao.