Malgré tout, je reste insatisfaite.
Le soleil brille, la Terre tourne, les marées subissent la Lune et les nuages, le vent.
Les massacres continuent au Darfour, les Etats-Unis de s’enrichir sur le dos de millions des bons et loyaux citoyens mondiaux et les saisons de se dégrader à mesure que fond notre banquise.
Le sourire des enfants irradie toujours le cœur des passants, le sucre de leurs bonbons colle toujours le bout de leurs doigts et leurs grands yeux sont toujours ébahis devant le grand monsieur au nez rouge qui fait des merveilles avec ses ballons.
Les jeunes se tuent encore à petit feu à coup de drogue et d’alcool, la Musique continue de les faire vivre et les bulles qu’ils se marrent à souffler de les faire rêver.
Et pourtant, rien n’est plus pareil.
Plus rien n’a d’importance.
Puisque autour d’elle, tout s’écroule.
Le bar en effervescence la laisse indifférente. Le va-et-vient des serveurs, les rires des copines venues prendre un verre après le shopping et les conversations des habitués ne sont que le bourdonnement haché d’une radio mal réglée. Sa conscience mal lunée n’a que faire de cette fourmilière qui s’agite autour d’elle. Même la douce mélodie qui s’échappe d’on ne sait où ne l’atteint pas. Ou presque. Un morceau de Nirvana. « Come as you are ». Ça la fait sourire amèrement.
Non, plus rien n’a d’importance désormais.
Si ce n’est le balancement esquissé par son pied gauche et le liquide ambré qui hante le fond de son verre, s’enroulant paresseusement autour du glaçon. Déception professionnelle, cœur brisé ou bide social ? Ses jolies courbes et le col de sa chemise qui se déboutonne à mesure des gorgées qui brûlent le fond de sa gorge ne laisse rien deviner de précis. Et puis, comme chacun sait, les jolies filles sont toujours heureuses. Ce n’est pas un simple verre de whisky qui peut prétendre s’opposer au présent de vérité générale. Et pourtant, l’alcool ne parvient pas à réchauffer son cœur glacé. Dernière gorgée avalée d’un trait brûlant, elle repose son verre et le barman s’approche.
- La même chose, Mademoiselle ?
- Madame.
Depuis deux petites semaines. Seize petits jours.
Il la ressert et elle siffle son verre pour en prendre un autre.
Comment expliquer à l’homme qu’on aime que d’ici quelques semaines, leur amour ne sera plus qu’un souvenir à la saveur douce-amère… ? Comment lui avouer qu’ils n’auront jamais d’enfants, qu’ils ne vieilliront pas ensemble… ?
Un autre verre glissa dans sa gorge et, les larmes aux yeux, elle paye sa consommation en quittant son tabouret.
Non, le monde ne changerait pas, et même Lui continuerait à vivre sans elle.
Elle rêvait d’une vie longue, entourée d’une famille qu’elle aurait fondée avec cet homme et en exerçant son métier avec passion. Des rêves si simples et si peu présomptueux…
Affronter la mort avant même d’avoir vécu… Elle trouve ça stupide. Et le pire, c’est qu’elle aura beau se battre, se débattre, refuser son destin, elle n’y peut rien.
Dans la rue, elle laisse ses larmes couler. Les vertiges qui la prennent n’ont rien à voir avec les trois ou quatre doses de whisky qui chatouillent encore son ventre.
L’angoisse d’une vie inachevée, l’ombre qui enveloppe doucement son existence.
C’est programmé par son corps.
Non, ça n’ira pas.
Rien n’ira plus.
Elle se meurt déjà.